Dans les entreprises « à statut », des dispositions réglementaires et/ou statutaires peuvent autoriser l’employeur à recourir à la mise à la retraite d’office avant même que le salarié ait atteint la limite d’âge de droit commun résultant de l’article L. 1237-5 du Code du travail.
Par deux arrêts du 16 février, la Cour de cassation soulève la question de la compatibilité de ces régimes particuliers avec le principe d’interdiction des discriminations professionnelles liées à l’âge. Le pouvoir de l’employeur en ressort fortement écorné : non seulement le dispositif réglementaire auquel il a recours doit être justifié au regard de la directive du 27 novembre 2000 sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, mais, en outre, la décision individuelle prise par l’employeur en application de ce dispositif, à supposer qu’il ne soit pas jugé discriminatoire, doit également être justifiée au regard des dispositions du Code du travail prohibant les discriminations fondées sur l’âge.
Conformité des dispositions réglementaires au droit européen
La première affaire concerne un salarié mis à la retraite d’office à 60 ans, en juin 2007, en application du statut applicable au personnel d’EDF (décret n° 54-50 du 16 janvier 1954, annexe 3 du statut du personnel des industries électriques et gazières, circulaire PERS 70 du 10 février 1947, autorisant la mise en inactivité d’office à 60 ans des agents d’EDF sédentaires totalisant 25 ans de service). Se prévalant du droit commun, en application duquel la mise à la retraite ne pouvait intervenir qu’à partir de 65 ans, ce chef de projet saisit la justice d’une demande de requalification de sa mise à la retraite en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il invoque pour cela la directive CE n° 2000-78 du 27 novembre 2000 sur l’égalité de traitement.
Celle-ci n’admet des différences de traitement fondées sur l’âge qu’à la condition qu’elles soient objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et si les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires(art. 6 § 1).
En mai 2010, la Cour de cassation a énoncé, pour la première fois, à propos du régime de retraite des personnels de l’Opéra, que les juges du fond doivent appliquer cette disposition communautaire consacrant un principe général du droit de l’Union, et donc contrôler l’existence d’un objectif légitime, ainsi que le caractère nécessaire et approprié de la mesure d’âge (Cass. soc., 10 mai 2010, n° 08-43.681, v. Bref social n° 15614 du 20 mai 2010).
Dans la présente affaire, la cour d’appel de Bordeaux avait pourtant validé la mise à la retraite en décidant, sans plus d’explication, que la directive précitée ne faisait pas obstacle à l’application des dispositions nationales contestées.
L’arrêt a été censuré par la Cour de cassation faute, pour les juges du second degré, d’avoir opéré le contrôle des justifications requises par la directive. Ainsi, pour valider la mise à la retraite, ces derniers auraient dû constater que, « pour la catégorie d’emploi de ce salarié, la différence de traitement fondée sur l’âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires ».
Les Hauts magistrats ont renvoyé les parties devant la cour d’appel de Toulouse, qui devra procéder à ce contrôle. Reste à déterminer quel pourrait être l’objectif légitime requis.
Conformité de la mesure individuelle au droit européen
À supposer que les dispositions réglementaires soient jugées non discriminatoires, l’employeur n’est pas pour autant à l’abri de poursuites exercées sur la base des dispositions du Code du travail. Dans le second arrêt rendu le 16 février, à propos d’une salariée de la SNCF mise d’office à la retraite à 55 ans, en avril 2005, en application du décret n° 54-24 du 9 janvier 1954 (ultérieurement abrogé par le décret n° 2010-105 du 28 janvier 2010, qui a porté la limite d’âge correspondante à 65 ans), la Cour de cassation précise en effet que, « si des dispositions réglementaires autorisant, à certaines conditions, la mise à la retraite d’un salarié à un âge donné, peuvent ne pas constituer, par elles-mêmes, une discrimination interdite par l’article L. 1132-1 du Code du travail, il n’en résulte pas que la décision de l’employeur de faire usage de la faculté de mettre à la retraite un salarié déterminé est nécessairement dépourvue de caractère discriminatoire ».
La décision individuelle de mise à la retraite d’office prise à l’égard d’un salarié déterminé doit donc répondre aux critères de définition des différences de traitement autorisées, posés par l’article L. 1133-2 du Code du travail. Elle doit être objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime, notamment de politique de l’emploi, et constituer un moyen approprié et nécessaire pour réaliser ce but.
En l’espèce, les motifs invoqués par la SNCF (« adapter ses effectifs à l’évolution du contexte dans lequel elle se situe », « apporter à l’entreprise publique une souplesse durable dans la gestion de ses effectifs, en fonction de l’évolution de son organisation et de son activité ») ont été jugés trop généraux et non susceptibles à ce titre de constituer un objectif légitime. La mise à la retraite a été annulée comme constitutive d’une discrimination fondée sur l’âge.